Je sais. Vous direz qu’on vous ennuie avec nos livres. Mais je suis obligé de vous parler de ce petit livre. 96 pages. Les hommes gabonais devraient le lire. Apprendre à le décoder du haut de leurs airs phallocrates et de leur virilité de loup dans la bergerie. Eux et … en fait nous et notre vantardise. Il y a là le destin et les parcours brisés, échoués de femmes qui poussent des cris.

 

Ces femmes ont, chacune, été broyées, secouées par le tumulte de la vie : infidélités endogamique de l'homme qui n’a pas de scrupules pour s’offrir sa femme et sa belle-sœur (classique), faits divers familiaux aux accents de drame d'horreur, tout y passe. Lasses de cette vie aux logiques illogiques, et où les rêves de vie accomplie s’écroulent comme des châteaux de cartes, elles ont perdu la raison. Elles se retrouvent à Écart-ville. Un asile ou l'antichambre du paradis? Une transition du coma au retour au monde des vivants? Ce qui est sûr, c’est qu’elles y vont, y vivent et se découvrent des talents uniques. L’œuvre prend alors des accents de manifeste féministe : « J’observe ces femmes dont les blessures de la vie se cicatrisent mais qui cependant ont renoncé à se battre. Oui, on nous a fait du mal! On nous a trahies, battues, violées, enfermées, insultées, volé nos vies et nos rêves! On nous a pris nos êtres chers, enlevé nos dons, fait oublier nos ‘’moi’’… Mais faut-il pour autant fuir et se résigner, ou se relever pour se reconstruire? » Et comme c’est très souvent le cas dans les romans gabonais au féminin, les auteures règlent leurs comptes et l’homme est rattrapé par ce tribunal de Nuremberg d’un autre genre. Cet homme qui veut toujours tout : le beurre, l’argent du beurre, la beurette et même la laitière et le pot au lait. Cet homme qui voit parfois sa nature revenir au galop : machisme caduc, phallocratie régressive. En fait la nature qui revient au galop. Mais les femmes en prennent aussi pour leur grade : la sœur qui ne rêve que d’être à la place de sa sœur : « Ce que tu ignores, Aria, c’est que ce n’était pas seulement la trahison d’un homme, mais aussi celle de toute une famille… La maîtresse de mon époux n’était autre que ma petite-sœur… Éliane, que je gardais comme ma propre fille, couchait avec mon mari, son ‘’papa’’, comme elle le nommait depuis qu’elle était toute gamine. Sous mon toit, sur mon propre lit. Et tout le monde le savait, même notre propre mère. Sauf moi. ». Les sœurs en Christ trop zélées sont également pointées du doigt telle cette dame qui voit partir en fumée toute sa famille alors qu’elle reste tard à l'église où les appels au « feu » divin sont désormais légion : ironie du sort.

 

Les femmes aiment quand ça dure

A la question de savoir ce que veulent les femmes, Parfaite Ollame semble y répondre, à l’instar de ses consœurs. Les femmes veulent que ça dure. Elles ne veulent que la féerie du mariage dure de la demande en mariage « jusqu’à la gare » ou « jusqu'au tombeau » comme le chantent les artistes. Elles veulent que l’orgasme dure. Qu’on continue à leur faire l’amour plutôt qu’à les baiser uniquement. Elles veulent que leur corps résiste à l’usure du temps des maternités. Elles veulent que le regard des premiers jours ne se détourne pas au profit d’une plus jeune rencontrée au détour d’une mission. Oui, elles veulent que ça dure. « Nous nous éloignions peu à peu l’un de l’autre, Bertrand et moi. Le feu s’éteignait! Nos ébats devenaient mécaniques et rapides. Vite fait dans le noir! Sans nous dévêtir totalement. J’avais hâte qu’il termine d’évacuer sur moi son stress, et lui avait seulement hâte de sentir ma chaleur. Plus de baisers, plus de préliminaires, plus d’étreintes, plus de chuchotements à nos oreilles, plus de ‘’ je t’aime’’. Nous baisions désormais. Nous ne faisions plus l’amour. Je m’asséchais, lui se vidait seulement ».

Mais ni le temps ni Dieu et surtout pas l’homme (gabonais) ne sont prêts à lui offrir cette féerie jouissive à durée indéterminée. Alors, certaines femmes sont tentées par le défaitisme et la romancière de leur rappeler qu’elles sont fortes. Qu’elles ont des dons divins si bien que si elles le voulaient vraiment elles bâtiraient une ville à l'écart, elles vivraient paisiblement à Écart-ville.  Non plus cet asile en semblant de paradis mais un pays de cocagne, « Là où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté » dirait le poète.

 

Le style de Parfaite Ollame est épuré, sans fioritures avec un présent de narration qui simplifie la lecture à merveille; mais aussi et surtout avec une gravité dans la voix de la narratrice, qui restitue au texte toute sa tonalité lyrique entre plaintes, lamentations, souvenirs heureux, désillusion, etc. On peut toutefois regretter deux aspects, le format très réduit du roman ainsi la posture militante de la narratrice qui parfois donne l’impression d’un monde où domine le pessimisme dans les rapports entre humains. En si peu de pages, difficile de donner de l’épaisseur à une question aussi cruciale dans la société gabonaise que celle de la démence. Et particulièrement la démence chez la femme. Toutefois, le roman séduira paradoxalement grâce à ses limites notamment ces 96 pages qui se lisent d’un trait. Et n’importe quel(le) lecteur (-trice) se retrouvera à travers l’un ou plusieurs de ces portraits cabossés par les coups impitoyables du fatum. Un moment de lecture qui vaut le détour.

 

 

BOUNGUILI Le Presque Grand

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