Auteure prolifique et à la plume bien trempée, Muetse Destinée MBOGA est une écrivaine précoce dont les œuvres explorent la société gabonaise à travers ces hommes et femmes qui ont centré leur vie sur la quête des chimères, le refus d’être soi, la recherche effrénée des biens matériels ou encore les vices de l’être humain. Dans une société du tout pour le tout pour les apparences, cette auteure gabonaise a choisi de peindre l’envers du décor gabonais. Elle se livre ici pour le plaisir des lecteurs. Bonne lecture.
GStoreMusic : Romancière, nouvelliste, poétesse, que pouvez-vous ajouter à votre sujet pour ceux qui vous connaissent peu ?
Muetse Destinée Mboga : Rien de concret (rires) Enfin c'est tout ce que je suis ou peut-être lectrice compulsive
GSM : Comment débute cette passion pour la littérature ?
MDM : Je ne saurais le situer vraiment, mes plus lointains souvenirs remontent à la fin de années 90 début 2000, j'ai entre 9 et 10 ans, je suis déjà au lycée et je fais acheter à mes parents un cahier supplémentaire à chaque fois à leur insu bien sûr. Un cahier de 300 pages dans lequel j'écris des histoires sorties de mon imagination de gamine solitaire. Je me souviens encore de La Légende du château perdu, une de mes histoires favorites. Quand j'étais petite, je cachais ce cahier sous mon matelas, l'écriture était mon petit secret, personne chez moi ne savait que j'écrivais. J'écrivais de tout : des chants, des poèmes, des histoires, dans ce cahier. Il y'en a eu deux autres et ça a duré jusqu'en 2001-2002, mon année de 3e et j'ai 13 ans. Un jour, mon père décide d'un grand rangement de la maison et je n'étais pas là. Quand je rentre des cours à 17h, je trouve tout le monde à la terrasse, papa avait un de mes cahiers dans ses mains et il le lisait à tous ! Je ne m'en suis pas remise je n'ai pas pu écrire un mot après ça et ce jusqu'en 2005, en 1ère année d'université en France. Le froid, la solitude, le mal du pays ont eu raison de ce traumatisme : je me suis remise à écrire et le premier poème que j'ai écrit en débloquant c'est "A ma mère" dont l'extrait apparaît sur la couverture de mon recueil de poèmes, et dont certains vers disaient : A travers les océans mère, je t'envoie en écho, le chant de mon amour pour toi, la mélodie que mon cœur te dédie, où tu trouveras ce que je ne t'ai jamais dit. Le froid d'ici a terrassé mon orgueil, la solitude a abattu les murailles de honte, mais pour toi mère, je résiste et j'affronte"
GSM : Entre poésie et prose avez-vous un genre de prédilection ? Avez-vous songé à écrire des pièces théâtrales ?
MDM : Le théâtre, non. J'aime moins. Le roman est ce que je préfère écrire. La poésie je la conçois comme trop intimiste parfois et la nouvelle est généralement un challenge.
GSM : Quel est le principal défi de la nouvelle par rapport au roman par exemple ?
MDM : Le défi est de pouvoir accrocher le lecteur, passer un message et rester intéressant en peu de lignes. Avec le roman on peut se perdre et se retrouver or avec la nouvelle on n'a pas vraiment droit à l'erreur.
GSM : Comment a été accueillie votre première œuvre ?
MDM : Par qui ? (Rires) Mon entourage était surpris. Comme je l'ai dit ce n'est pas quelque chose dont je parlais nécessairement. Après, ça fait tout drôle, parce qu'une fois que tu sors un livre les gens te collent une étiquette du genre "intello" ou super intello intouchable. Bref les gars qui voulaient te draguer freinent net (rires).
GSM : Autrement dit l'écrivaine ne séduit pas les hommes mais leur fait peur ?
MDM : Oui, généralement.
GSM : Depuis vos débuts, quels rapports entretenez-vous avec votre lectorat ? Avez-vous réussi à fidéliser un bon nombre ?
MDM : Fidéliser quelques uns oui. Mais en réalité je suis quelqu'un qui déteste se mettre en avant, « se vendre », faire de la publicité. Je suis jalouse de mon intimité et je veux garder les lecteurs à leur place. Or dans notre littérature qui se bat contre l'absence de réelle politique du livre et une culture de la lecture peu évidente, les auteurs sont parfois contraints de se mettre en avant pour « se vendre ». Et j’ai du mal avec ça.
GSM : Votre dernier roman Une Âme aux enchères évoque les sectes au Gabon et dans la sphère politique et votre recueil de nouvelles Demain, je m'en vais je meurs aborde des problématiques sociales tels que l'alcoolisme, l’infidélité, le VIH. Vous définirez-vous comme une auteure engagée ou vous écrivez simplement selon l'inspiration du moment ?
MDM : J’écris selon mon inspiration. Ce sont les lecteurs et critiques qui décrètent ou décèlent l'engagement dans ce que j'écris. Ecrire pour moi c'est d'abord partager ma vision des choses, du monde.
GSM : Une Âme aux enchères décrit l'univers sombre des sectes, quel a été le déclic pour écrire cette histoire d'amour qui bascule dans l'étrange ?
MDM : (Rires) En réalité j'ai voulu écrire une histoire étrange comme on en entend souvent dans les rues de Libreville. Et en essayant de me mettre à la place des personnages qui parfois nous paraissent lointains ou invraisemblables, je me suis rendue compte que très souvent, ces personnes sont habitées par les mêmes désirs, les mêmes motivations que le commun des mortels. Ce qui les rend moins communs ce sont leurs limites psychosociales. Et en essayant d'en faire des personnes
normales dans un cadre normal et commun, je me suis vite dirigée vers un sentiment des plus communs, l'amour en l’occurrence.
GSM : L'un des héros pratique l'inceste sous toutes ses formes, se livre à des rites sacrificiels, se gorge de sang humain, etc. pour assouvir sa soif de pouvoir. Cela a-t-il été évident d'écrire ces scènes obscures ?
MDM : Évidemment que non ! Mais quand j'ai une inspiration, je ne suis plus vraiment moi-même en ce sens où c'est elle qui me dirige et pas moi. Je ne peux pas dire que j'ai eu du mal à écrire ça parce que j'ai pour principe de ne pas me forcer. Donc je n'écris que lorsque c'est là, lorsque l'inspiration monte en moi.
GSM : Dans le contexte gabonais, le phénomène des crimes rituels s'est en quelque sorte banalisé notamment à cause de l'impunité dont jouissent les auteurs. Cette œuvre vient-elle en quelque sorte rendre justice ou du moins hommage aux victimes de ces actes abominables ?
MDM : Ce n'est pas le but premier même si j'avoue qu'en écrivant ces passages j'ai effectivement voulu rendre aux victimes leur dignité et aux familles éprouvées l'espoir en me faisant leur porte voix.
GSM : Autrefois, la littérature nous avait habitués au schéma de la femme qui est brimée soit par la tradition, son époux sinon par la société dans sa totalité. L'héroïne du roman Une Âme aux enchères est par contre poussée à la faute par une femme en l'occurrence sa propre mère. Est-ce une façon de renvoyer aussi la femme à ses responsabilités par rapport à sa propre condition ?
MDM : C'est complètement ça ! C'est même la première motivation de l'écriture de cette histoire. J'en avais marre d'entendre mes consoeurs se plaindre alors que le "dehors" est rempli d'histoires où nous sommes en tort. Montrer comment beaucoup d'hommes se perdent par amour pour une femme et l'influence qu'une épouse et une belle-mère peuvent avoir sur un homme sain d'esprit
GSM : Justement en évoquant les cercles pernicieux, ne craignez-vous pas que cet aspect primordial du visage de la femme gabonaise contemporaine passe finalement inaperçu au seul profit de la dimension politique et ésotérique de l’œuvre ?
MDM : L'œuvre a-t-elle vraiment une dimension politique ? Ce n'est pas l'objectif. Après je ne peux pas toujours savoir comment les gens vont accueillir l'œuvre
GSM : A ce propos, quels ont été les premiers retours des lecteurs ou de l'entourage ?
MDM : (Rires) Ma mère a eu peur que j'aie des ennuis. Et puis beaucoup trouvent ça « invraisemblable » Un poète de ma connaissance a dit que c'est le roman gabonais « le plus sombre » de sa connaissance…
GSM : On suit votre regard ?
MDM : Rires
GSM : Vous avez participé à la rédaction du recueil de nouvelles collectif Entre nous, quel est le concept de cette œuvre et quelle a été votre contribution ?
MDM : Il était question d'illustrer une expression typiquement gabonaise à travers une nouvelle et j'ai travaillé sur l'expression « Chercher les cachettes du corps » que j'ai illustrée à travers la nouvelle « Les Griffes de la belle sœur »
GSM : vous étiez présente aux salons du livre de Paris, de Libreville (SILA), aux cafés littéraires de Port-Gentil, quels enseignements tirez-vous de ces expériences notamment la proximité des publics français et gabonais ?
MDM : Le public français n'est pas sensible à ce que nous écrivons avec nos tripes c'est-à-dire les écrits qui nous ressemblent. Pour qu'ils nous acceptent, il nous faut nous dénaturer, essayer d'écrire comme des français, avec des références qu'ils connaissent et comprennent. D'aucuns me diront que c'est normal mais je dis non.
Nous nous efforçons de comprendre ce qu'ils écrivent sans pourtant les obliger à se mettre à notre niveau, nous nous hissons au leur. Ils devraient en faire autant. Mais je suis sans doute seule à penser ainsi. Beaucoup de mes compatriotes pensent qu'évoluer et réussir c'est ressembler aux occidentaux en l'occurrence en littérature, c'est écrire comme eux. Pour ce qui est du public gabonais, double problème. Il est peu intéressé par la chose. Normal cet art n'est pas promu : pas de bibliothèques, pas de librairies, pas de maison d'édition publique nationale. Ce qui tue les quelques velléités. Bref ils aiment bien qu'on leur raconte les livres mais ne sont pas toujours prêts à dépenser 10.000 FCFA. Mais tout n'est pas noir. Il y a de plus en plus d'avancées grâce aux mouvements insufflés par les auteurs eux-mêmes et il y a de plus en plus d'engouement. On espère y arriver…
GSM : Le problème de lectorat est-il seulement économique et structurel ?
MDM : Non pas que structurel ou économique. Certainement socioculturel aussi.
GSM : C’est-à-dire ?
MDM : Les gens ont d'autres priorités
GSM : En marge de l'écriture, vous exercez dans un ministère stratégique du Gabon, et vous préparez également un doctorat. Comment arrivez-vous à concilier ?
MDM : Oh vous savez, l'écriture n'est pas pour moi une corvée, c'est un plaisir. Quant au doctorat, j'avoue que j’ai un peu freiné.
GSM : Aujourd’hui, la question de la publication a compte d'auteur fait débat. Quels sont les avantages et les inconvénients selon que l’on soit publié à compte d’auteur ou en autoédition ?
MDM : La publication à compte d'auteur pour de nouveaux écrivains comme nous peut sembler attrayante de prime abord, vu que les grandes maisons d'édition nous paraissent souvent inaccessibles. Cela nous semble un bon tremplin pour nous faire connaître et avoir au moins son nom dans l'anthologie. Mais je crois que ça ne doit pas rester notre objectif sur le long terme. Bien sûr qu'il y a des maisons d'édition à compte d'auteur qui font un très bon boulot éditorial. J'ai particulièrement apprécié ma collaboration avec Jets d'encre sur ma toute première publication le recueil de poèmes Muendu murime. Mais il faut avouer que ça nous revient parfois très cher on doit dépenser beaucoup de sa propre poche alors qu'après il n'y a pas de véritable promotion de l'œuvre on se retrouve soi-même à être le promoteur de son œuvre, à la vendre et la faire connaître. Les canaux de distribution sont souvent peu nombreux et au final, on n’a presque jamais un réel retour sur investissement même après un ou deux ans d’exploitation. L'auto édition, j'y pense de plus en plus. À tout seigneur tout honneur…
GSM : Que prévoyez-vous pour vos lecteurs dans un avenir proche ?
MDM : J'ai fait la fabuleuse rencontre d'une talentueuse écrivaine gabonaise OWALI Antsia, (auteure des romans Eding, le fruit défendu et de Pauvre et fière, ndlr) qui a le mérite de très bien écrire et de s'autoéditer et ça marche plutôt bien. Certes elle doit être elle-même sur le terrain, créer son propre réseau de communication et de distribution. Mais ça ne change pas tellement de ce que j'ai connu en édition à compte d'auteur à ceci près qu'on dépense moins d'argent et qu'on a presque tout de suite un retour sur investissement si on sait s'y prendre. Après avoir échangé avec elle, j'y pense de plus en plus. Ce sera ça ou je me battrais pour le compte d'éditeur. L'aventure avec le compte auteur je pense y mettre un terme. Dans un avenir proche certainement un autre roman à paraître. Et peut-être aussi que je retournerai me blottir dans les bras de la poésie.
Le Presquegrand Boong
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