En 2008, je venais de me délecter d’un
savoureux Espagne-Russie qui déboucha
sur la victoire de l’équipe du regretté Luis Aragones, en demi-finale de l’Euro
de football. Au terme de ce match, j’allai satisfaire une autre de mes
passions : la musique. Ce jour-là, comme c’est presque devenu rituel, le
CCF rendait hommage à Pierre-Claver Akendengue. Le spectacle réunissait trois générations
différentes sur la même scène : outre PCA, Mackjoss, Hilarion Nguéma,
Claude Damas Ozimo, constituaient les artistes de la première génération (tous
nés avant les indépendances). Annie-Flore Batchiellilys (AFB), Nadège Mbadou,
Movaizhaleine, Omar Ben Sala pour représenter la deuxième génération (tous nés
après les indépendances). D’autres artistes relativement plus jeunes tels que
Tina complétaient ce panel d’artistes.
L’un des temps forts de cette soirée fut la reprise du titre Sans oublier l’oublié par Pascale Mengome qui accompagne PCA en chœur depuis l’album Obakadences. A travers sa voix sensuelle, sa prestation émouvante a dû arracher quelques larmes à certains notamment PCA lui-même.
Mais mon véritable moment fort fut l’interprétation du titre « Télégramme » écrit et interprété par PCA et accompagné par Mackjoss et Hilarion Nguéma. Voir et écouter chanter ces trois monstres de la musique gabonaise côte à côte m’a inspiré la réflexion à propos des collaborations en musique. Je me suis posé la question : quelles sont les collaborations artistiques que j’aimerais voir dans la musique gabonaise ?
Quand je parle de collaboration, je mets de côté les chansons collectives telles que celle consacrée à Serge Egnigha ou encore celle commémorant le cinquantenaire de l’indépendance du Gabon. Je mets également de côté les récentes collaborations qui ont servi à soutenir (Laissez-nous avancer) ou à contester (On ne te suit pas) le pouvoir d’Ali Bongo. Je veux parler des collaborations entre artistes sur des projets personnels. Par exemple le featuring entre AFB et Angèle Assélé (« Désespoir ») ou encore la collaboration de Ndjassi Ndjass, Bubal Bu Kombil et Krash Lo Grav K pour la reprise de « Ekôn y eko » de Movaizhaleine.
Si on prend la discographie de PCA, on constate sauf omission, qu’il n’a pas partagé de collaboration avec ces congénères sauf quelques apparitions de Marcel Djabioh sur certaines de ses chansons (« Pauvre Okughé » ou « Eau claire »). Pour sa part, Patience Dabany n’a pas de collaboration connue avec des artistes gabonais de sa génération, ses rares collaborations sont avec des artistes internationaux tels que le regretté Tabu Ley Rochereau (« Sango ya mawa » en hommage à Franco du TP OK Jazz) El Debarge (Melima). Pour sa part, depuis son départ de l’orchestre Massako de la gendarmerie nationale gabonaise, Mackjoss a lui aussi fait cavalier seul. Vyckoss Ekondo, François N’gwa et bien d’autres ont évolué dans le même sens. Paradoxalement, il semble plus facile de retrouver ces artistes de la première génération avec la génération « Côte ouest » c’est-à-dire celle qui s’illustre le plus dans le genre musical Rap. On peut par exemple évoquer les relations de proximité entre Patience Dabany et le groupe de rap Hay’oe (« Djazé ») ou encore la relation « filiale », spirituelle entre Movaizhaleine et PCA. Par ailleurs, on notera la collaboration entre François N’gwa et Nephtali (« Ici c’est chez toi »), entre le regretté Edingo et Encha’a (« Amone »).
En somme, il est plus facile de trouver des collaborations entre artistes de variété et artistes de rap. Mais entre eux-mêmes, les rappeurs semblent moins enclins à des featurings. Et si featuring il y a, c’est souvent dans une cuisine interne, pour ainsi dire les rappeurs cultivent une forme d’entre-soi qui cadre sans doute avec la dimension égotique, nombriliste du rappeur. Ce même nombrilisme s’explique par le fait que le rappeur est généralement débrouillard et rechigne à dépendre de quelqu’un. Par ailleurs, les affinités et influences ou orientations musicales sont très marquées dans le rap : certains se réclamant comme étant des « puristes », des « engagés », des « conscients », etc. auraient moins envie de s’afficher sur un morceau avec ceux qui sont présentés comme des « rappeurs commerciaux » en d’autres mots des rappeurs peu sérieux.
On peut émettre l’hypothèse qu’en se joignant à des rappeurs, certains « anciens » apportent un tant soit peu leur « aide » aux jeunes. Pour les rappeurs, il s’agit aussi de bénéficier de l’aura des « vieux », de prendre un peu de leur lustre. Mais la belle opération pour les rappeurs c’est finalement faire aussi adhérer un public plus âgé en mêlant leur rap aux musiques anciennes que fredonnaient leurs parents pendant leur jeunesse.
Mais alors, pourquoi les rappeurs de premier plan (ceux qui ont une popularité, une longévité et une discographie qui ne se discutent pas) font moins de featuring entre eux ? Et pourquoi retrouve-t-on moins de collaboration entre artistes de variété au-delà des chansons d’hommage ?
Qui ne voudrait pas voir Amandine et Patience Dabany sur un même morceau ? Qui n’aimerait pas voir Lestat XXL en duo avec Baponga ? Que serait un duo entre Maât Seigneur Lion et Bubal Bu Kombil ou encore Lord Ékomy Ndong et Keurtice Essamkwass ?
East Coast vs West coast
Il fut un temps aux USA où les rivalités étaient plus que marquées entre les rappeurs se réclamant de l’Est et ceux se revendiquant de l’Ouest. Cet antagonisme a connu un de ses épisodes les plus tragiques avec les morts successives des rappeurs Notorious B.I.G et Tupac Shakur que l’on considère encore à ce jour à la fois comme des pionniers et des références voire les plus talentueux de l’histoire du rap. Si c’est par leur textes que les rappeurs s’opposaient, il n’était pas rare que ces bisbilles s’exportent jusque dans la sphère privée si bien que pour le rappeur, sortir avec la petite amie de « l’ennemi » constituait une sorte de prise de guerre. Si certains continuent d’affirmer à tort ou raison que les autorités américaines ont de leur côté instigué cet antagonisme pour de sombres desseins, il n’en demeure pas moins que c’est à travers leur musique que les rappeurs ont mis du sparadrap sur les plaies des rues de New-York et de Los Angeles. Si bien que certains clashes ne sont plus et parfois élaborés qu’en guise de stratégie commerciale : on attaque untel sans fondement pour faire grimper sa propre cote.
Ce qui est appréciable chez les ricains, c’est justement cet art de tout transformer en opportunité. En effet, l’industrie musicale américaine a franchi l’autre cap : désormais on ne s’interdit plus telle ou telle collaboration, le but étant d’élargir son public, d’accroître sa visibilité et évidemment les ventes. La vieille guéguerre entre l’Est et l’Ouest américain est loin d’avoir été complètement aplanie. Cependant, les rappeurs en vue ne s’interdisent pas des collaborations.
C’est peut-être ce cap, ce virage que le rap gabonais n’a pas su amorcer. Au plus fort de leur antagonisme, Shad’m et Kôba aurait dû faire ensemble un morceau en guise de réconciliation pour sortir du clivage de leurs oppositions d’antan. De la même manière, si Georges Kamgoua était allé au bout de son idée, à savoir produire un album commun réunissant Movaizhaleine et Raaboon après le fameux clash des années 2000, cela aurait été un réel succès et un message sain pour les fans qui depuis cette date s’étaient érigés en clans rivaux.
Non pas qu’il n’existe pas de collaborations dans le rap bien au contraire ! Ce que je ne retrouve pas, ce sont des têtes d’affiche à savoir des artistes aguerris du rap qui partageraient la même scène. La véritable énigme en la matière reste évidemment Lord Ékomy Ndong qu’on ne retrouve sur aucun album d’un rappeur gabonais depuis la scission du collectif Buckdrama qu’il formait avec notamment Raaboon. Sont-ce les autres rappeurs qui ne l’invitent pas ? Est-ce lui qui refuse de se prêter aux collaborations ? Ou est-ce tout simplement sa domiciliation en France qui rend difficiles certaines collaborations ? Pourtant on retrouve de nombreux rappeurs invités dans les albums de Movaizhaleine notamment sur On Détient la harpe sacrée II…
Le rap gabonais a enfanté de nombreux titres collaboratifs qui sont restés dans la mémoire de ceux qui suivent attentivement sa mouvance. On peut citer pêle-mêle : La Cour des grands (Baponga, Johnny B Good, Joda Crazy Boy), Laisse-moi ça (NGT feat. Lestat), 100% Gaboma (Shogenza, feat. Black Dibal & Missile)…
Une chose est sûre, en me rappelant ce souvenir de ces artistes gabonais partageant la même scène j’ai senti poindre en moi un rêve celui, de voir à quoi ressemblerait un featuring aujourd’hui entre Medang Lawana (Siya Po’ossi) et Klaus (Gervais) de V2A4 ? B Good le rasta et Bubal Bu Kombil ou Nzanga Mapangou? Entre Massassi et Johnny B Good ? Entre Cam et Lord Ékomy Ndong ? En somme, si ces grandes figures du rap gabonais en particulier et des musiques urbaines en général, n’apparaissent pas sur des collaborations ou ne font pas d’efforts allant dans ce sens, c’est le mélomane gabonais qui est sans doute privé de quelque chose. En tout cas, pour ce qui me concerne, j’aimerais retrouver l’émotion de ce jour-là…
BOUNGUILI Le Presque Grand