Samedi 25 mars, se tenait la 9e
édition du concours de poésie urbaine à Libreville. Cette compétition qui se
tient annuellement à l’Institut Français (IF) a livré son verdict et c’est
Franck-Noël Makosso alias NO qui a été sacré pour la deuxième fois consécutive,
une grande première depuis l’existence de cette joute oratoire. Le directeur
artistique et organisateur de cet événement populaire a accepté de revenir sur
cette grand’ messe du verbe, de la langue et du langage. Celui qui se présente non
sans une pointe d’humour, comme étant le « porteur de café » du
groupe Movaizhaleine livre les ambitions de la compétition à moyen et long
terme, les conditions d’organisation et l’engouement susciter par le slam au
Gabon, dans un contexte difficile aussi bien politiquement que financièrement. Rencontre
avec le très discret mais efficace et passionné Deenice Pambo.
Gstoremusic : On avait déjà connu un fait inédit dans cette compétition à savoir deux slameurs arrivés ex-aequo (Buumh Iks et Pasteur) en 2008 si nos souvenirs sont bons. La dixième édition de la coupe nationale de slam qui vient de s’achever a vu le sacre du champion sortant à savoir No (Franck-Noël Makosso de son vrai nom). Quel est votre sentiment après cette grande première ?
Deenice Pambo : D'abord, un petit rectificatif, mars 2017 constituait la 9e édition. Comme à chaque édition, j'ai toujours un sentiment de satisfaction. La satisfaction vient surtout des nouveaux : on a enregistré plusieurs nouveaux dont deux jeunes jeunes avec une moyenne d'âge entre 15 et 16 ans. Preuve qu'il y a une certaine dynamique autour de cette joute.
Gstoremusic : Plus que jamais, les textes ont une très forte connotation politique avec des propos critiques. Penses-tu que c’est un passage obligé pour bien figurer dans la compétition ?
DP : Non, nullement! Les poètes ont un champ libre dans le choix des textes, nous n'imposons rien. En plus, je n'aime pas embrigader les slameurs. L'une des valeurs de cet art est la libre expression. La connotation politique que l'on constate dans 90% des textes déclamés se justifie par l'environnement dans lequel évoluent les poètes. On ne peut pas tricher avec ça.
Gstoremusic : Est-ce pour cela qu’il n’y a pas de thématique retenue chaque année ?
DP : Pour cet événement dénommé Coupe Nationale de Poésie Urbaine, il n'est pas question de restreindre les thématiques. Par contre, on invite les poètes à diversifier les thèmes. Mais, le contexte persiste, et les slameurs persistent aussi. D'autres événements comme les Journées de l'Oralité offre un autre cadre qui est très différent de la Coupe Nationale de Poésie Urbaine.
Gstoremusic : Justement ! c’est le sens de la prochaine question. N’y a-t-il pas concurrence entre les deux événements ? Quelles en sont les différences fondamentales ?
DP : Les Journées de l'Oralité (J.O) célèbre l'oralité sous toutes ses formes et variantes avec au menu des conférences et spectacle. Par contre, la Coupe Nationale de Poésie Urbaine ou Slam est un Concours qui comporte quelques règles minimales et qui permet chaque année de voter par le truchement d'une jury hétérogène de choisir un champion.
Gstoremusic : De qui et comment est composé le jury ?
DP : Des hommes de lettres, hommes de médias, un représentant de l'Institut Français, des artistes d'autres genres, des spectateurs qui viennent pour la première fois, etc. En somme, un mélange qui laisse exprimer plusieurs sensibilités. Les personnes choisies se connaissent seulement le jour de l'événement. Donc vingt minutes avant le concours
Gstoremusic: La compétition se veut « nationale », les autres parties du pays sont-elles toujours représentées ?
DP : Malheureusement, faute de moyens, nous enregistrons plus les candidats issus des provinces suivantes : l'Ogooué Maritime, Le Haut-Ogooué et l'Estuaire, autrement dit les provinces les plus présentes. On a quand même noté la participation du Moyen-Ogooué. On espère réunir les neuf provinces dans les années "à- venir". C'est aussi notre objectif : vulgariser et faire participer toutes les provinces. On a déjà des contacts au niveau de la Ngounié et du Woleu-Ntem.
Gstoremusic : Pour revenir, à proprement parler, à la compétition du samedi dernier, certains ont exprimé sur les médias sociaux l’idée que le champion sortant ne devrait plus concourir lors des éditions suivantes afin de « laisser éclore les autres » talents. Est-ce légitime selon vous?
DP : Il est normal que le champion de l'année dernière puisse se représenter, ça permet de rehausser l'événement et de susciter une émulation. Cela pousse les autres, les plus jeunes à venir se confronter à ce champion. Chaque année, à chaque édition, nous enregistrons des nouveaux talents, je pense que le problème ne se pose pas. Depuis 2008 que cet événement existe, c'est la première fois qu'un champion rempile. J'ai pris le soin de répondre aux critiques.
Gstoremusic : En neuf ans donc vous avez vu se succéder de jeunes gabonais tous aussi talentueux les uns que les autres. Mais rares sinon aucun n’a passé le cap du titre de champion. Faire carrière par exemple. Si bien que certains se sentent encore obligés de céder aux chants des sirènes des hommes politiques… Est-il excessif de dire qu’il n’y a pas de vie après ce titre ? Les slameurs font-ils aujourd’hui des efforts afin de mener des carrières à la hauteur de leurs talents ?
DP : Tous les champions de 2008 à 2015 sont partis en France, représenter le Gabon à la Coupe du Monde de Slam. Le Gabon, à travers cet événement a eu une visibilité à l'international. Certains ont eu des opportunités mais faute des moyens financiers ils ont été rattrapés par la dure réalité qui freine l'élan de ces derniers. J'offre un tremplin qui a permis à certains d'avoir même des contrats avec les maisons de téléphonie mobile... Mon travail s'arrête là. Certains slameurs par leur pugnacité font des efforts, je peux citer Nanda, Larry, D'Sign, Nyabinghi Poésie et Princesse Zalang. D'autres suivent mais pas assez. Il faut être un peu patient, des bonnes choses arrivent concernant le slam gabonais.
Gstoremusic : Pourquoi le déploiement de costumes et d’instruments de musique autre que la voix, notamment des instruments du terroir gabonais sont-ils interdits ? Et il est de plus en plus fréquent de voir des jeunes monter sur scène, bariolés de kaolin. Faut-il voir là les spécificités du slam gabonais ?
DP : L'utilisation d'instruments de musique ou de musique préenregistrée est interdite, l'utilisation d'accessoires aussi est prohibée à la Coupe Nationale de Poésie Urbaine. Le slameur ne porte que les vêtements qu'il porte dans la vie de tous les jours. Par contre, lors des Journées de l'Oralité, rencontre des arts oratoires, la musique y est présente.
Gstoremusic: Après toutes ces riches années, vous songez sans doute à des améliorations, à des changements pour les dix prochaines années ?
DP : Bien sûr, on songe aussi à d'autres événements. On pense à sortir des recueils, en compilant les meilleurs textes...Il faut ajouter qu'il existe plusieurs événements liés au slam mais ils sont différents.
Gstoremusic : Au Gabon, en l’absence sinon face au manque de lisibilité d’une politique de promotion de la culture, comment fait-on pour maintenir un tel événement sur une durée relativement longue ? Quel soutien recevez-vous de l’État ?
DP : (Rires …) L'État ?... C'est l'amour de l'art, de la culture qui explique ce maintien.
Gstoremusic : Pardon d’être naïf, mais pour ceux qui sont à l’étranger on s’imagine qu’il y a un coup de pouce des pouvoirs publics…
DP : La culture n’a jamais été une préoccupation pour eux…
Gstoremusic : Quittons donc ce terrain infertile… Cet événement à l’origine localisé à Libreville la capitale connaît de plus en plus un rayonnement national, un tel engouement devrait-il inciter les enseignants par exemple à l’intégrer dans les cursus notamment en « élocution » ou alors dans des activités parascolaires?
DP : Il existe déjà dans plusieurs établissements de Libreville et de Port-Gentil, des clubs de slam. Depuis 2006, on a pilonné et installé des clubs dans les établissements scolaires de la capitale et à POG. On a eu le soutien des profs de Français. Pour aller plus, cet art oratoire a déjà l'objet des mémoires de recherches au département des littératures africaines à l'UOB.
Gstoremusic : En fait, la réappropriation de ce matériau poétique par les cénacles universitaires, j’imagine qu’à l’heure actuelle, c’est votre véritable motif de satisfaction ?
DP : Le vrai motif de satisfaction viendrait du fait, de voir le slam s'implanter sur toute l'étendue du territoire et de voir ces jeunes vivre de cet art.
Gstoremusic : Dans le titre La Mélodie des mortiers les rappeurs de La Rumeur disent : « La rue trop énervée pour du slam / Je n’ai que de l’essence pour te déclarer ma flamme » ; pour sa part, dans Menace de mort Youssoupha affirme : « Il m’aurait trouvé plus gentil si je ne faisais que du slam ». Ce qui sous-entend que le slam serait une version douce et donc moins subversive que le rap, d’où l’écho qu’on lui a donné. Qu’en pensez-vous ?
DP : Primo, il est important de savoir que le Slam est antérieur au rap avec des artistes comme Gil Scott Heron, The Last Poet. Quand on écoute, les textes de ces artistes, ça vient contredire les propos de la Rumeur et de Youssoupha. Secundo, le slam offre plus de liberté d'expression actuellement.
Gstoremusic : La diaspora gabonaise a pu suivre ce concours par l’entremise de certains réseaux sociaux. Songez-vous à le diffuser en direct sur Internet ou à la télé ?
DP : Sur Internet, oui.
Gstoremusic : Vous êtes aussi connu pour être le manager du groupe Movaizhaleine qui n’a plus presté au Gabon depuis déjà trop longtemps pour des raisons multiples notamment politiques qui les obligeraient d’ailleurs à demeurer en exil. Comment les fans vivent-ils cette longue absence ?
DP : Manager est trop gros pour moi, disons le gars qui coordonne les affaires, les projets, et celui qui fait aussi le café (rires). Les fans demandent à voir leur groupe sur scène et me demandent chaque jour, « A quand le prochain Show du Pays ? »… mais ils n'ignorent pas la crise que traverse le pays depuis plusieurs années déjà.
Gstoremusic : L’entrevue est arrivée à son terme. C’est le traditionnel moment du « mot de la fin »
DP : Merci pour l'opportunité. Le slam gabonais à des beaux jours devant lui. J'invite les jeunes à mettre plus de passion. Slamicalement votre.
Presque grande Interview réalisée par Bounguili Le presque Grand