Le rap gabonais a connu une évolution fulgurante. Il s’est imposé non sans difficulté comme un art majeur sur l’échiquier artistique gabonais. Entre auteurs et groupes à succès, des textes virulents, acerbes, ironiques qui seront étudiés dans les plus hauts temples du savoir au Gabon, les censures médiatiques et politiques, les polémiques et clashes en tous genres et l’engagement dans le champ politique. Tels sont succinctement, les grands moments qui ont construit et façonné ce genre musical à l’échelle nationale.
C’est dire si dans son long et périlleux cheminement le rap gabonais a connu ses moments de gloire et ses insuccès. Les rappeurs gabonais ont tenté de s’exporter avec des fortunes diverses et ont même été adoubés sur la scène panafricaine à travers des récompenses aux prestigieux trophées Kora de la musique africaine (Kôba, Eben, Ekomy Ndong). Mais le rap gabonais a aussi eu ses nombreux artistes dont la carrière s’est écourtée précocement. Si certains avaient laissé voir en eux des promesses évidentes, d’autres ont très vite connu le succès avec un premier single puis ont brusquement disparu de la scène rapologique au grand étonnement des fans et observateurs avisés.
Pour certains, la maternité, l’exil à l’étranger pour des raisons privées ou scolaires, a marqué un coup d’arrêt à leurs carrières, ou à la rupture des duos ou collectifs de rap qu’ils formaient au départ. Le Kartel d’Owendo, Le Nouvel Skdron, Clairvoyance, Bad Klan, etc., sont autant de ces nombreux groupes prometteurs qui ont brusquement disparu sans forcément laisser des traces.
Pour d’autres, la gestion maladroite de leur carrière a découragé un certain public qui s’est détourné d’eux sonnant ainsi le glas de leurs existence rapologique. C’est le cas notamment d’Edenza. Connu pour son rap hardcore lorsqu’il formait le duo A16 (Assèze), il avait choisi de se lancer dans la tendance couper-décaler qui faisait fureur au début des années 2000 avec le titre « Nyarami ». Ce qui avait fortement déplu à certains fans qui n’avaient pas compris ce revirement insensé à 180 degrés. Pour beaucoup encore, leur retrait du game se justifierait du fait que le rap n’était qu’un exutoire, un passe-temps ou une étape dans leur construction d’adolescents révoltés.
Parmi ces oubliés, qui ne se souvient pas de Kriz et de Black Dibal ? Connu et reconnu comme un duo de freestyleurs hors pair, Kriz et Black Dibal était membre du collectif du quartier Nzeng-Ayong à Libreville. Collectif baptisé « Ligne 13 » en rapport avec la ligne d’autobus de la compagnie des transports librevilloise Sogatra, qui desservait le quartier en question. Ensemble Kriz et Black Dibal formaient donc 6stématik et leur premier titre « Même toi-même » avait tout de suite fait l’unanimité. La richesse et l’aisance de l’écriture faisaient penser à l’époque au duo Movaizhaleine mais avec ceci d’original que leur vocabulaire était très sophistiqué. Texte égotrip, comme la plupart des premiers textes des rappeurs, « Même toi-même » s’annonçait comme le titre qui devait révéler de futurs grands rappeurs ce qui ne fut pas forcément confirmé. Pourtant, on retrouvera Black Dibal en grande forme sur la compilation de référence Lbv Underground II avec le titre « Les Frangins » mais également dans le titre de Shogenza « 100% Gaboma » où il rivalise aux côtés de ce dernier et de Missile. Depuis son exil hexagonal, Black Dibal fait très peu parler de lui voire pas du tout. En dépit là aussi de projets personnels qui restent dans l’ombre, le MC qui affiche désormais des dreadlocks interminables n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Lorsqu’il sort son premier morceau, intitulé « Mon album photo », Fox le SD fait tout de suite l’unanimité. Dans ce texte original où le rappeur présentait sa vie tout en rendant sa gloire au rap de ses aînés, Fox le SD faisait d’une pierre plusieurs coups : il confirmait son talent de freestyleur, et de lyriciste, réputation acquise après plusieurs battles remportées dans l’exercice du freestyle. Managé par la structure « International hip-hop » de Joe Dacrazy Boy, Fox le SD nous faisait aussi découvrir le chanteur Sinsh’O qu’on retrouvera par la suite et avec succès, sur de nombreuses collaborations. Le morceau est tout de suite un hit, il tourne en boucle sur les radios et les émissions spécialisées au point que le rappeur s’impose comme LA figure prometteuse du rap dans le secteur concurrentiel qu’est Nzeng-Ayong. Ce succès acquis, le rappeur n’a plus donné signe de vie, du moins, il n’a sorti aucun son à la hauteur du premier. Une disparition artistique non encore élucidée…
Le groupe de rap Hatofeya Staff était un membre du collectif L’Antre de la pieuvre. Collectif auquel appartenait Hay’oe, la 17e filière, Mess Kuzum entre autres. Lorsqu’il sort le titre « Transcendance » à la fin des années 1990, le groupe fait tout de suite parler de lui. Épaulés par Massassi sur ce titre, Don Machado et Amon Ramaadon apportaient du sang neuf avec des flows atypiques. Les voix sombres des deux rappeurs donnaient au titre une dimension mystique voire ésotérique mais en fait, la chanson était un hymne au dépassement de soi qui passe par une nécessaire connaissance de soi-même. Si le groupe a continué d’exister, il est progressivement devenu moins visible et les projets individuels des membres du groupe n’ont pas rendu possibles des projets communs qui sont souvent restés dans le domaine confidentiel ou seulement à la portée d’amateurs de la première heure. On retrouvera Don Machado sur le titre « new rap generation » qui réunit l’Antre de la pieuvre. En dépit des projets personnels menés dans l’underground gabonais, on n’a plus revu Hantofeya Staff avec les promesses que suggérait leur premier titre resté à ce jour le plus connu et comme un hit intemporel du rap gabonais.
On pourrait élargir cette liste en citant par exemple Banz mudji, Masta Kudi, Yanock, B Good le rasta, dont les carrières ne sont pas forcément allées là où on pouvait l’espérer. Mais là n’est pas l’objectif de cette chronique. Nous voulons juste rappeler que le talent ne suffit pas à faire long feu dans la musique et particulièrement dans le rap. Quand on ne prend pas en considération la fidélité à ses idées de départ, sa gestion de carrière et de parcours, on aura beau être un lyriciste talentueux, il n’empêche que cela ne suffira pas à mener une carrière exemplaire sur un long terme. Beaucoup de rappeurs ont cru bon de boycotter les médias gabonais soit disant pour exprimer leur désaccord face au mercantilisme (avéré) de certains animateurs de radios et de télévision. Si la posture peut avoir sa raison d’être, force est de constater que sur la durée, ce fut une erreur stratégique et nous pensons notamment au Syndikat des kayats, à N.A.F (Nègre africaine fierté). Keurtyce Essamkwass a longtemps voulu adopter cette posture pour finir par comprendre qu’elle n’était pas payante au final. Et qu’on pouvait bien côtoyer certains médias sans nécessairement se renier.
De nombreux jeunes aujourd’hui décident de faire du rap. Qui par conviction, qui par effet d’entraînement et beaucoup parce que c’est un moyen comme un autre d’être vu. Ils doivent simplement savoir que des rappeurs encore plus talentueux qu’eux ont essayé de faire autant et la suite de leur carrière a permis de comprendre qu’il ne suffit pas de bénéficier d’un home studio, de faire une vidéo et d’avoir des admirateurs occasionnels pour s’inscrire dans la durée. A ceux-là, nous conseillons d’aller écouter le titre « Quinze ans en arrière » de Youssoupha.
Bounguili Le presque Grand