« The revolution will not be televised » cette phrase restée célèbre, rares sont les rappeurs qui l’ignorent si bien que de nombreux jeunes gabonais la scandent parfois, notamment sur les réseaux sociaux.
Ce vers du poète, chanteur et activiste afro-américain Gil Scott-Heron (1949-2011) invitait la jeunesse à changer d’état d’esprit, à comprendre que tout changement commence d’abord par une révolution intellectuelle et spirituelle avant d’être un ensemble d’actes. En somme, la révolution est d’abord un sentiment que les individus doivent vivre au plus profond d’eux-mêmes, une prise de conscience de la réalité qui est la leur et qui n’est pas qu’un moment de loisir ou de passivité que procure le confort technologique et matériel. Ce que Césaire nommait déjà comme étant « l’attitude stérile du spectateur ».
Depuis la dernière élection présidentielle au Gabon (août 2016), et le schisme qui a suivi l’annonce de résultats fallacieux, les Gabonais ont décidé de traduire dans les réseaux sociaux leur courroux et leur mépris de la classe régnante actuelle du Gabon. Il est important de mentionner que la mobilisation contre les exactions du pouvoir bongoïste n’ont jamais atteint une telle ampleur notamment dans les rangs de la diaspora : de Cape Town à Paris en passant par Accra, Dakar, Londres, Washington, New-York, Séoul, Montréal ou Ottawa, les Gabonais ont manifesté leur mécontentement face au mépris de leur choix opéré au soir du 27 août 2016. Mais certains activistes ont depuis retourné leur veste, mettant un peu de l’eau dans leur verre de vin de palme. Aussi, tous s’invectivent. Les uns et les autres s’accusant de collusion, tandis que certains dénoncent le manque de « plan B » de la part de l’opposition radicale incarnée désormais par Jean Ping. Certaines figures se sont imposées avec le statut de cyberactiviste. Mais force est de constater que beaucoup parmi eux essaient de tirer la couverture sur soi. Tout se passe comme si derrière cet activisme se cachent des intentions politiques ou arrivistes sinon profito-situationnistes. En clair et en vrai, au lieu de lutter pour une réelle alternance, certains le font pour bénéficier à leur tour des faveurs du pouvoir notamment en cas d’arrivée au pouvoir de Jean Ping. D’où d’ailleurs la participation effrénée de certains au fameux « dialogue » initié par le président contestable Ali Bongo, participation motivée chez certains par une déception née d’attentes démesurées.
Mais notre propos vise surtout à soulever la question de l’efficacité ou non du cyberactivisme en contexte gabonais plutôt qu’à évoquer les bisbilles au sein de la diaspora gabonaise qui a ouvert une sorte de querelle de chefs…
Pionnier du cyberactivisme, Daniel Mengara était ridiculement taxé d’opposant virtuel par les suppôts d’Omar Bongo. D’autres soulignaient ironiquement qu’il ne suffisait pas de parler ou d’écrire derrière son ordinateur et qu’il fallait « descendre au pays ». Bien que ces attaques étaient dénuées de pertinence venant d’un pouvoir qui emprisonnait ou réduisait au mutisme les opposants, il faut souligner qu’elle pointait aussi la question de l’efficacité d’une lutte politique via internet quand on s’adresse à un peuple dont le pays n’a pas nécessairement une large couverture en la matière.
En effet, nul n’ignore que malgré les slogans pompeux, le Gabon reste un pays d’une pauvreté insoupçonnée. Pauvreté qui n’est pas que matérielle, elle est aussi intellectuelle et surtout structurelle et donc numérique, au sens technologique du terme. En effet, les activistes sont désormais nombreux à s’exprimer en live sur facebook ou youtube. Si la démarche est pertinente, est-elle pour autant efficace dans un contexte gabonais où le citoyen frappé par la pauvreté n’a pas forcément accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)?
Il semble que les activistes s’adressent aux Gabonais, au « Peuple » afin de le conscientiser voire de susciter en lui une prise de conscience nécessaire à la révolte. Or, il semble aussi que ces activistes aient oublié que la fracture numérique frappe de plein fouet le Gabonais. Autrement dit, l’efficacité même de ces prises de position sur internet mérite d’être questionnée. Alors il est pertinent de se demander, si la révolution ne sera pas télévisée comme le prédisait à juste titre Gil Scott-Heron, sera-t-elle pour autant numérique, notamment dans le cas du Gabon ? Un ami installé depuis peu à Libreville me confiait in extenso : « Ici, personne ne connaît Tata Huguette ». Cette boutade est valable pour tous les activistes car le Gabonais lambda n’est pas capable de suivre des messages de plusieurs heures car non seulement ses moyens ne le lui permettent pas mais surtout le réseau des télécommunications au Gabon n’est fiable que si l’on se situe dans des grands centres urbains. Et là encore, ce n’est pas une garantie, les fluctuations en la matière rendant parfois caduque toute action sur internet. Et que dire du coût que génère le visionnage de fichiers tels que des vidéos ?
Ceci nous amène à attirer l’attention des activistes gabonais de la diaspora qui commencent à réclamer la paternité de telle ou telle action, à leur rappeler que le combat pour la libération sera utile à tous les niveaux. Toutefois, les actions entamées sur internet devront nécessairement être complétées sinon relayées sur le terrain. Car le Gabon n’est pas constitué que de Libreville : Sassamongo, Moulenguibinza, Mpaga, etc. sont autant des lieux où le message véhiculé sur internet s’avère aujourd’hui d’une inefficacité évidente.
Par ailleurs, entre Jonas Moulenda, Dangher, Yannick Ndong Mba, Messir N’Nah, Gobame, Pat Collins et autres, qui suivre ? Tout porte à croire que chacun veut exister, que chacun veut avoir la primauté et l’exclusivité dans ce que beaucoup nomment la « Résistance ». Il faut juste noter que dans toute révolution, « ce sont les masses populaires qui font les révolutions » ainsi que le disait Nelson Mandela. Il ne s’agit pas d’un individu. Or ces masses populaires qui côtoient un quotidien d’une cruauté inouïe sont plus préoccupées à satisfaire des besoins élémentaires qu’à passer des heures devant un écran à écouter une sorte de prêchi-prêcha. Par ailleurs internet a joué un rôle indéniable dans les révolutions arabes dites « Printemps arabes ». Sauf que si internet a été si efficace c’est justement parce qu’en Tunisie ou en Égypte l’accès à cet outil de communication n’est pas une gageure comme cela peut l’être au Gabon.
Dans la lutte qu’on mène, il arrive ce moment où il faut aussi réfléchir sur l’ensemble des actes qui ont été posés et d’en évaluer leur portée. Au besoin, réajuster certaines stratégies voire passer un cap supérieur. Les messages qui prolifèrent sur la toile s’adressent-ils à tous les Gabonais ? Les couches les plus défavorisées du Gabon comprennent-elles la portée des enjeux politiques actuels ? Comment s’assurer que ces messages se traduisent en actes concrets ? Sept mois après l’usurpation qui a porté le chef suprême de la fraude à la tête du Gabon, il est peut-être venu ce temps de s’appesantir sur la pertinence de la « résistance » cyber-médiatique. L’examen minutieux de ces interrogations est plus que jamais impérieux si on ne veut pas à notre tour tomber dans une sorte de monologue d’autopromotion.
Gil Scott-Heron termine magistralement son poème en prédisant: « The revolution will not be televised / The revolution will be live ». Littéralement : « La révolution ne sera pas télévisée / La révolution se vivra en direct » En d’autres mots, les choses seront vouées au changement si chacun passe le simple cap de la cybermobilisation. Des actes concrets devront faire place aux discours interminables que certains animent au quotidien. Il s’agit de proposer des solutions efficaces, palpables et susceptibles de changer le quotidien des Gabonais. Tout le reste sera nul et sans effet.
Bounguili Le Presque Grand